Ce qui suit n’est pas de moi. C’est un texte extrait du blog du président de FDN. Il s’agit une petite réflexion concernant l’accès au réseau Internet en France. Y a-t-il une guerre sans merci entre les différents founisseurs d’accès pour nous proposer le meilleur service ? Combien sont-ils réellement ?
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Une de mes activités les plus chronophages est d’être le président de FDN. FDN est une association loi 1901, qui est un des plus anciens fournisseurs d’accès en France, et un des rares à être encore en vie après autant de temps (l’association date d’avril 1992, l’année prochaine on fêtera les 15 ans). Ça m’a souvent amené à réfléchir sur ce qu’est Internet et où il va. Voilà quelques unes de ces réflexions.
Beaucoup de gens commencent à prendre conscience du fait qu’Internet représente une opportunité de démocratie et de liberté de parole. À tel point que nos politiques font semblant de l’approuver, pour ne pas donner l’impression qu’ils sont dépassés par les évennements.Cette opportunité de démocratie, et cette liberté de parole, sont à l’heure actuelle une vérité : chacun est convenablement libre de prendre la parole sur Internet, et un nombre croissant de citoyens s’en servent pour réfléchir sur des sujets politiques. La structure d’Internet est d’ailleurs telle que, n’ayant pas de centre névralgique, il est très difficile de censurer le contenu qui s’y trouve. En effet, s’il existe de millions (ou même des milliards) de serveurs, comment faire taire tous ceux qui tiennent des propos déplaisants?Mais les évolutions technico-financières qui ont accompagné le développement grand public d’Internet ont un impact fâcheux sur la structure du réseau. Il est conçu, sur le principe, complètement décentralisé. De nos jours, dans la pratique, il ne l’est plus. Ou il est en passe de ne plus l’être. Quand un petit nombre d’entreprises privées détiennent plusieurs centaines de millions de boîtes aux lettres (je pense ici à Google, Yahoo, Hotmail, etc), ce sont autant de voix qu’on peut filtrer, fliquer, et faire taire. C’est autant de correspondance privée qui est livrée à la merci d’organismes dont le but premier est la rentabilité plutôt que l’éthique.
De la même manière, l’immense majorité des blogs est hébergée par un nombre très restreint de structures. Comme les sites web d’ailleurs, la très vaste majorité est située chez des hébergeurs commerciaux dont l’éthique n’est pas la priorité : mettez dans la balance, d’un côté, le fait de préserver la liberté de parole d’un client aux opinions jugées subversives et, de l’autre côté, le fait de devoir se fâcher avec des représentants de l’ordre pas forcément accomodants. Un entrepreneur raisonnable, qui doit défendre son business, sans pour autant être un parfait salaud, va choisir de ne pas se fâcher avec les autorités. C’est logique. Il ne va pas compromettre son entreprise, les emplois de ses salariés, et ses bénéfices, pour les beaux yeux d’un client qu’il ne connait probablement pas.
À bien y réfléchir, la situation est encore plus caricaturale quand on parle de l’accès à Internet. Déjà, avant le développement massif d’ADSL, un vingtaines de fournisseurs d’accès regroupaient la presque totalité des internautes français. Mais avec l’arrivée de l’ADSL, ça s’accentue : France Télécom détient un monopole clair sur l’accès physique (le fil de cuivre du téléphone lui appartient), et en regroupant 6 entreprises on a la quasi-totalité des accès au réseau (Wanadoo, Free, NeufCegetel, Télé2, Alice, et Club-Internet). Si on épluche un peu le capital de ces entreprises, on se rend compte qu’il n’y a là-dedans rien qui ressemble de près ou de loin à des structures à taille humaine : rien que du grand groupe international, rien que du côté en bourse. Donc rien que de l’entreprise sans conscience et sans scrupule.
Le lecteur un peu informé me rétorquera qu’il existe des alternatives. Bien entendu. C’est dans le monde de l’hébergement de sites web que c’est le plus clair : il existe un bon nombre d’hébergeurs associatifs, de PMEs, de coopératives. Pour le mail, c’est un peu plus délicat à trouver, mais c’est encore possible. Par exemple en allant ouvrir un compte chez no-log, ou en décidant qu’on fait plus confiance à La Poste qu’à Google (ce qui, dans mon cas, n’est pas clair, l’aspect service public de La Poste semblant des plus compromis).
Mais en matière d’accès Internet, il en va tout autrement. En septembre, FDN a lancé une offre d’accès ADSL, les gens qui lisent ce texte le savent sans doute. Ça n’offre pas des garanties myrifiques : FDN n’a pas les moyens de monter un réseau physique qui puisse tenir tête à ceux des grandes entreprises. Mais ça offre tout de même des garanties. Et surtout, ça participe d’un mouvement dans le bon sens : ça contribue à apporter un peu de diversité à un endroit où on en manque cruellement.
Il nous reste 5 opérateurs majeurs en France disposant d’un réseau physique (Télé2 n’a pas vraiment de réseau en propre), il y a fort à parier que dans quelques années il n’en restera que 3. Il reste en europe une petite trentaine d’opérateurs ayant un réseau physique, dont nombre des opérateurs historiques de chaque pays, il y a fort à parier qu’on tombe à une dizaine tout au plus dans quelques années. C’est une pente dangereuse, glissante. C’est le contraire de ce que devrait être Internet.
Mais cet état de fait n’est pas un hasard, et n’est pas le fruit du marché capitaliste. Si on s’état contenté de privatiser France Télécom, le marché n’aurait pas, de lui-même, créé ces quelques entreprises concurentes. La situation actuelle est bien le fait d’un marché régulé. La volonté du régulateur n’est pas toujours claire, quand on lit les textes. Par contre les actes, eux, sont limpides. Ils vont toujours dans le même sens : permettre à quelques entreprises de grande envergure de se disputer le marché, mais interdire aux petits d’émerger. L’état actuel est bien une solution choisie politiquement, et non subie. En fait, cela découle de la solution retenue pour la régulation.
D’autres solutions plus radicales auraient pu être envisagés par nos politiques lorsqu’ils ont décidé de l’ouverture du marché des télécoms à la concurrence libre et non-faussée, comme ils disent. Par exemple, il aurait pu être décidé d’interdire les trusts verticaux : interdiction de posséder le réseau physique d’accès et d’opérer les accès dessus.
Ce ne serait pas idéal, mais ce serait déjà mieux. On aurait sans doute des systèmes monopolistiques, ou de grands groupes, qui possèderaient le réseau physique, mais ils auraient interdiction de fournir de l’accès à Internet à partir de ces tuyaux.
Dans la situations actuelle, les trusts verticaux jouent un grand rôle. Plutôt que de chercher à les définir, on se contentera de regarder deux exemples :
– France Télécom possède le réseau de cuivre, et fournit l’accès ADSL physique dessus, en concurrence avec ses clients NeufCegetel, Free, Alice et Club-Internet. On peut tourner et retourner le problème comme on veut, si l’ART arrête de surveiller France Télécom, cette concurrence va disparaitre du jour au lendemain, parce qu’elle est artificielle. France Télécom arrêterait de louer son bien à ses concurents.
– De la même manière NeufCegetel fournit l’accès ADSL physique (en louant le fil de cuivre à France Télécom), mais aussi l’accès à Internet, en concurrence avec ses clients dont FDN, Nerim, Télé2, et d’autres. Ici, l’autorité ne régule pas, considérant qu’il n’y a pas lieu de le faire, parce que NeufCegetel n’est pas seul sur son marché. À deux ayant le monopole d’une ressource, il y a concurrence, c’est bien connu.
Ce mélange des genres est très préjudiciable, il verrouille le marché, et le force à se concentrer dans les mains de quelques-uns : ceux qui sont ces trusts verticaux. Si on laissait faire le marché, en quelques mois tout ce beau monde disparaitrait au profit du seul France Télécom. Nos politiques ont choisi une politique de régulation : ils veulent qu’il y ait un semblant de concurrence. Disons 2 ou 3 opérateurs pour chaque pays. Ça permet de se donner bonne conscience, et on est certain de ne pas voir émerger trop de petits indépendants.
La forme de marché libre mais régulé qui a été retenue nous mène donc tout droit dans un monde dans lequel toute l’infrastructure d’Internet sera dans les mains de quelques grands groupes, avec tous les risques éthique que cela comporte. Il faut bien revenir sur ce point : cette situation n’est pas le résultat du marché seul. Le marché seul aurait laissé perdurer le monopole. C’est le fruit d’une régulation. C’est donc, fondamentalement, un choix politique, un choix de société. Nos politiques ont choisi, par leurs actes, une société dans laquelle Internet, comme les autres médias, est le plus possible dans les mains de quelques grands groupes.
Cette position de nos dirigeants, même si elle n’est pas forcément conciente de leur part d’ailleurs, est facile à comprendre. Ça correspond au schéma dont ils ont l’habitude. Ils essayent de reproduire le modèle de la presse, avec quelques points de contrôle facilement identifiables (des patrons de journaux dans un cas, des patrons d’opérateurs dans l’autre). Attendre d’eux qu’ils changent d’avis, et que donc ils modifient la régulation pour créer un marché très ouvert en interdisant les trusts verticaux, ça relève de l’utopie. Ça revient à attendre qu’ils fassent une révolution culturelle. L’expérience montre qu’en matière d’évolution des modes de pensée, ils seraient plus volontier suiveurs.
Il est souhaitable que l’avenir d’Internet soit de se re-diversifier, ce serait la seule bonne garantie de la liberté de parole sur le réseau, mais tout laisse présager que les mouvements de concentration vont se continuer.
Reste donc à chercher comment cette évolution peut avoir lieu pour qu’elle puisse par la suite aller influencer l’organisation de notre société numérique. Une des approches possibles est de décider de résister avec les moyens du bord : c’est l’approche qui consiste à essayer de faire tourner FDN contre vents et marrées. Celle qui consiste, alors que la structure n’est pas encore rentable, à pousser autant que faire se peut à la création de structures similaires dans d’autres pays d’Europe. Après tout, c’est ce que font les gens qui s’intéressent au même type de problème dans la production agricole, et c’est assez voisin de ce que font les gens du logiciel libre.
Il n’y a pas de solution miracle, pas de remède simple. La seule chose que chacun puisse faire est de chercher à prendre son indépendance vis-à-vis de ces structures. Bien entendu, au premier chef, ceux qui ont des choses à dire qui risqueraient de déranger. Mais aussi ceux qui pour le moment n’ont pas grand chose à dire, mais tiennent à conserver leur liberté de parole pour l’avenir. Pour garder son indépendance, c’est relativement simple, sur le principe : s’adresser aux petites structures plutôt qu’aux grands groupes.
Dans la pratique, ce n’est pas forcément aussi évident. Si les 8 millions d’abonnés au haut débit en France deviennent adhérent de FDN, ce ne sera plus une petite structure. Si les millions de pages perso qui sont chez Free passent chez L’autre.net, ce ne sera plus une petite structure non plus. Il faut donc une démarche un peu plus militante de la part de certains : une fois que les structures existantes auront atteint une taille raisonnable qui garanti leur stabilité et leur éthique, il sera temps de monter d’autres structures, similaires ou approchantes. On n’en est clairement pas là cependant.
La nécessité d’avoir un réseau Internet éthique relève du même mode de pensée que de chercher à éviter la mal-bouffe : le seul critère de rentabilité, qui est celui des grosses entreprises, n’apporte pas les garanties suffisantes en matière d’éthique. Qu’on ne se trompe pas : les problèmes sont très différents. Dans un cas on parle plutôt de santé publique, dans l’autre on parle de liberté d’expression. Mais si on regarde l’organisation économique qui engendre ces deux problèmes, et qu’on cherche comment les prévenir, on tombe sur des solution très similaires. »